
30 ans de fidélité. Directeur de l’Evian Masters de 1995 à 2012, vice-président de l’Amundi Evian Championship depuis 2013, Jacques Bungert est intarissable quand on évoque avec lui les grands moments du 4e Majeur de la saison. Nous lui avons proposé cinq dates clés qui ont fait l’histoire du tournoi. Top magnéto !
Propos recueillis par Lionel VELLA, à Evian
C’est sur la terrasse du Players Lounge de l’Evian Resort Golf Club que Jacques Bungert nous a donné rendez-vous ce jeudi 10 juillet en milieu d’après-midi. Toujours aussi chaleureux et disponible, le vice-président de l’Amundi Evian Championship, mémoire vivante, avec Franck Riboud, le président, du seul Majeur hommes et femmes confondus organisé en Europe continentale, s’est replongé dans ses souvenirs, nous offrant parfois au passage quelques petites anecdotes croustillantes.
L’annonce officielle du passage du tournoi en Majeur à partir de septembre 2013
« C’est une date importante, tellement importante que je suis en larmes à la conférence de presse en 2012, avoue Jacques Bungert, toujours aussi ému quand il évoque ce moment crucial. Cela faisait pas mal de temps que les joueuses disaient que c’était leur Major, leur Masters puisqu’on s’appelait Evian Masters. C’était gentil de leur part mais nous, on ne voulait pas du tout aspirer à devenir un Majeur. A l’époque, elles ne comprenaient pas qu’on ne devenait pas un tournoi Majeur. Mike Whan, tout juste nommé Commissionner au moment de la crise des subprimes en 2008, comprend que le salut de la LPGA passe par l’international.
Quand il demande aux joueuses, aux jeunes comme Lorena Ochoa et aux anciennes comme Helen Alfredsson, alors au Board, quel tournoi pourrait devenir un Majeur, tout le monde lui répond : Evian ! Une longue discussion va alors débuter entre eux, la LPGA, et nous. Elle va durer un an et demi environ. La LPGA mais aussi toutes les instances comme le R&A ou le PGA ont un deal avec Augusta qui veut qu’aucun Majeur, hommes et femmes confondus, ne peut avoir dans son nom le mot Masters. Ce n’était pas rien pour nous de changer de marque.
On a beaucoup de respect pour Augusta et le Masters, qui continuent aujourd’hui d’être notre source d’inspiration, et donc on a décidé de changer d’appellation. Evian Championship était né. Tout ça pour dire que cela a représenté pour nous tous beaucoup d’émotions. J’en ai encore des frissons quand je revois Mike Whan annoncer devant les journalistes : « l’année prochaine, ce tournoi sera un Majeur ! »
2013, 2017… L’Evian Championship réduit à 54 trous
« Pour nous, ce ne sont pas des dates importantes du tournoi car cela fait partie des aléas de la vie du tournoi, tempère Jacques Bungert. En revanche, ce qui reste dans ma mémoire, c’est la tornade de grêle que nous avons essuyée, en 2008 je crois, un lundi soir, au mois de juillet. Honnêtement, la réduction de ces deux Majeurs à 54 trous, ça nous a fait c… mais on n’avait pas le choix concernant le positionnement du tournoi dans le calendrier.
On a toujours considéré que la météo fait partie de ce jeu qu’est le golf. Mais il faut aussi préciser que lorsque nous sommes devenus Majeur, on nous a enlevé un énorme poids des épaules. On savait que les meilleures joueuses viendraient à Evian. Donc, plus de pression sportive. Et puis, on se mettait d’une certaine manière sur le back seat de la LPGA. C’est elle qui décide désormais. Tout en partageant évidemment les décisions car on voulait rester ferme, soulignant qu’on demeurait les patrons ici.
Ce qui est sûr, c’est que ces réductions sur trois tours à deux reprises nous ont permis de dire à Mike (Whan) qu’on ne peut pas prendre tout le temps ce risque. On a donc accepté de revenir en juillet et de faire un petit sacrifice par rapport à notre clientèle estivale au sein de notre Resort. On a misé sur la puissance du tournoi qui amènerait des gens, qui recréait du chiffre d’affaires, du business pour les hôtels… »
2015, le triomphe de Lydia Ko, plus jeune vainqueur en Majeur à 18 ans, 4 mois et 20 jours
« C’est une date hyper importante ! Lydia était absolument dans les valeurs du tournoi, lâche, enthousiaste, Jacques Bungert. Cette fille est internationale, gentille, hyper pro, supra talentueuse et par-dessus le marché, elle est jeune. Quelqu’un qui gagne de façon aussi précoce, c’est forcément une lumière. On était tellement content pour elle, et elle correspondait tellement aux valeurs de notre tournoi que ça nous a fait doublement plaisir.
Quand je croise Lydia ailleurs qu’ici, elle me saute dans les bras, même chose avec Franck (Riboud). J’ai encore des frissons quand j’en parle car il y a des victoires plus ou moins émotionnelles. Et celle de Lydia fait partie des grandes émotions ! »
2016, le -21 d’In Gee Chun, record en Majeur, hommes et femmes confondus
« Je ne l’ai pas conservé comme un moment majeur mais c’est effectivement historique, souffle doucement Jacques Bungert. Cela construit quelque chose d’important pour nous, car c’est une vraie satisfaction. Les grands événements se construisent en cassant des records historiques. Et ils marquent l’histoire. En face de tournois qui ont, pour certains, plus de cent ans d’histoire et ça, ce record d’In Gee Chun légitimise notre position aujourd’hui. Quand on se balade avec Jacques (Riboud) à Augusta, rien que le fait de dire qu’on est d’Evian, c’est une source de reconnaissance ! »
2023, la victoire de Céline Boutier sur le sol français
« C’est tout simplement magique ! Quand Céline est bien placée sur le leaderboard le premier jour, on se dit : « Ah, c’est chouette ! » Quand ça monte en puissance, on voit la foule qui la suit, on voit la puissance des médias qui s’intéressent, et ça fait plaisir. Et quand ça gagne… Je ne connaissais pas bien Céline avant. Quand on voit son émotion, cette fille qui est d’une humilité incroyable, tout ça correspond aux valeurs de notre tournoi. Au passage, on va se battre pour obtenir deux-trois trucs comme la Une de l’Equipe par exemple (Ndlr, seul Tiger Woods avait eu ce privilège auparavant). Et ce sera d’ailleurs la meilleure vente de l’année du quotidien sportif.
Ce qui est génial, c’est que cette victoire a créé un engouement dingue. Les gens qui ne connaissaient pas grand-chose au golf venait me voir et me disaient : « Eh, c’est génial la Française qui vient de gagner ! » C’est un peu comme Mary Pierce à Roland-Garros. Tu t’aperçois d’un seul coup que ça représente toute la fierté d’un pays. Et cela raconte aussi les valeurs du sport féminin. Il y a eu un avant et un après Céline en termes d’affluence et d’attention ici à Evian. C’est indéniable ! »
Photos : Valerio Pennicino / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP et Philippe MILLEREAU / KMSP via AFP