
En remportant sans trembler son quatrième Majeur à seulement 29 ans, Scottie Scheffler assoit encore davantage sa domination écrasante sur le golf mondial. Son jeu sans faille et ses statistiques rappellent celles d’un certain Tiger Woods de la grande époque. Il n’a peut-être pas la même aura, mais sa stature de « big boss » est indiscutable. Et sa maîtrise du jeu de golf dans toute sa dimension force l’admiration.
De notre envoyé spécial à Portrush, Stefan Colin
« Je ne pensais pas revoir de mon vivant quelqu’un d’aussi dominateur que l’a été Tiger. Et pourtant… »
Jim « Bones » Mackay, l’ancien caddie historique de Phil Mickelson, qui a ensuite été sur le sac de Justin Thomas avant de devenir un consultant apprécié de la chaine NBC, a vu Tiger Woods de près. Et Scottie Scheffler aussi. La comparaison entre les deux champions, sur le plan de la domination écrasante qu’ils imposent aux autres lui paraît justifiée.
Après cet Open britannique 2025, elle semble parfaitement appropriée.
Il y a d’abord les chiffres. Parlants. Scottie Scheffler a conquis son quatrième Majeur avant ses 30 ans (il en a 29). Il compte désormais à son palmarès le Masters (en 2022 et 2024), le PGA Championship (une fois cette année) et donc l’Open britannique (une fois, cette année). Il est le quatrième joueur à signer cette prouesse avant ses 30 ans. Il rejoint ici Gary Player, Jack Nicklaus et Tiger Woods.
D’ailleurs le nom de Tiger Woods ressort à chaque fois que l’on se penche sur les records que bat Scottie Scheffler. Il est devenu à Portrush le premier joueur à remporter l’Open britannique en tant que n°1 mondial depuis le Tigre, qui a réussi cette performance à trois reprises.
Pas mal pour quelqu’un qui avant le début du tournoi disait que « la victoire n’était pas une fin en soi » pour lui, et qu’il ne voyait pas toujours « l’intérêt pour son épanouissement personnel de gagner. »
Le doublé comme Schauffele
Et pourtant Scottie Scheffler, à qui il ne manque donc plus que l’U.S. Open pour boucler son Grand Chelem, gagne beaucoup et de façon écrasante. L’an passé, il s’était imposé à sept reprises sur le PGA Tour avec en bonus le titre olympique à Paris 2024, au Golf National. Cette année, son armoire à trophées a mis plus de temps à se remplir, en raison d’un accident domestique et d’une blessure à la main durant les fêtes de Noël. Mais une fois les sensations retrouvées et la machine enclenchée, il s’est imposé à la CJ Cup Byron Nelson (avec huit coups d’avance !), au PGA Championship, au Memorial Tournament et donc à l’Open britannique.
Pour la deuxième année de suite, un Américain a ainsi réussi le doublé PGA Championship-The Open, après Xander Schauffele. Mais la « perf » de Scottie Scheffler semble bien supérieure.
Car quand on parle de domination, il y aussi la façon dont le jeune père de famille obtient ses titres. Son avance lors de la conquête de sa première veste verte ? Deux coups. Lors du deuxième Masters ? Trois coups. Lors du PGA Championship 2025 ? Quatre coups. A Portrush ? Quatre coups.
L’œuvre d’un maître absolu
Brandel Chamblee à propos de la performance de Scottie Scheffler à Portrush
Il était déjà le premier homme à gagner ses trois premiers Majeurs avec à chaque fois une avance de plusieurs coups, depuis Seve Ballesteros. Il est le premier à réussir cet exploit dans l’ère moderne. Avant la première guerre mondiale, Young Tom Morris, John Henry Taylor et James Braid l’avaient fait, mais on parle d’une autre époque, où la liste des participants était très réduite.
Toujours le meilleur du tee au green, Scottie Scheffler a ajouté cette semaine une touche de magie sur les greens. On vous passera les détails des chiffres de strokes gained. Il est premier partout, ou presque. Seul son dauphin Harris English le devance à Portush sur la performance au putting. Mais sur l’ensemble de la saison, il n’a pas d’égal.
« Ce qu’on a vu cette semaine de sa part est l’œuvre d’un maître absolu, a jugé un autre analyste de la télévision américaine, Brandel Chamblee. Il faut savoir apprécier d’être le témoin d’une performance qui touche au génie. Quand on parle de la qualité du grand jeu, il est tout simplement deux fois plus fort que ceux qui le suivent au classement mondial, Rory McIlroy compris. »
Sur les traces de Tiger, le frisson en moins
C’était la 10e fois de suite que le n°1 mondial menait après 54 trous. Il s’est imposé pour la 10e fois de suite… Personne n’a réussi une telle série. Personne sauf… Tiger Woods bien sûr, qui a gagné 37 fois de suite avec le leadership après trois tours.
Évidemment, Scottie Scheffler a encore beaucoup de travail pour aller chercher tous les records hallucinants du meilleur joueur de l’histoire du jeu. Même si l’ancien capitaine de Ryder Cup Paul McGinley a jugé « qu’avec le temps, Scottie pourrait même s’avérer meilleur, il pourrait même avoir plus de longévité que Tiger Woods au sommet. »
Surtout, il faut bien le dire, il ne dégage pas la même passion des foules. Sans doute son jeu est-il trop « clinic », trop parfait. Tiger était le roi des coups « recoveries », des coups hallucinants, des putts décisifs. Scheffler est tout simplement trop souvent au milieu du fairway et trop détaché en tête pour qu’on vibre autant à ses exploits.
Il s’en fiche d’être une super star.
Jordan Spieth à propos de Scottie Scheffler.
Et puis le charisme de Woods reste unique. Mais le personnage Scheffler, « cool like a cucumber » (décontracté comme un concombre littéralement) comme disent les Américains, gagne à être connu.
Scottie est un tueur sur le parcours mais un homme qui sait prendre du recul sur ses succès. Alors que Tiger avait une véritable obsession du succès et des titres, Scottie est quelqu’un qui ne se prend pas la tête (quelle décontraction lors de sa fameuse arrestation lors du PGA Championship 2024 !), un homme qui prend aussi de la distance sur son statut de champion.
« Il s’en fiche d’être une super star, confirme l’ex-n°1 mondial Jordan Spieth. Il ne transcende pas le jeu comme Tiger l’a fait. Et il refuse de faire des choses que beaucoup d’entre nous faisons… »
Du recul sur ses victoires, mais du goût pour la gagne
Effectivement les spotlights, les « followers » sur Instagram ou ailleurs, c’est très peu pour Scottie, merci…
« Si le golf devait affecter un jour ma relation avec ma femme ou mon fils, j’arrêterais immédiatement de jouer, disait-il à la veille du British. Pourquoi je veux gagner ce tournoi ? Quel est l’intérêt d’être le n°1 mondial ? Je me pose la question tous les jours. Et je n’ai pas encore trouvé la réponse. »
Il a pourtant trouvé la réponse pour écraser l’Open britannique et obtenir sa première Claret Jug. Ses adversaires apprécieront. Scottie Scheffler n’est pas obsédé par la victoire, mais il gagne. Beaucoup. Il écrase la concurrence. Souvent…
Photo : ANDY BUCHANAN / AFP