Le sixième épisode de notre série sur les « Pourquoi » du golf se penche sur une tradition qui perdure depuis les origines du golf, même si la démocratisation du golf a heureusement fait quelques pas en avant au fil des années (et des siècles). Pourquoi certains clubs sont-ils toujours si élitistes ?
Entrer dans certains clubs de golf aujourd’hui reste une épreuve plus redoutable qu’affronter un par 5 vent de face. Le tracé est simple en théorie : une porte à franchir, quelques pas pour accéder à un comptoir d’accueil, et à la fin, un sourire. Mais en pratique, il faut parfois un parrain, deux recommandations écrites, une réputation irréprochable, un pantalon parfaitement repassé et idéalement un grand-père qui jouait déjà ici « avant la guerre. »
Lire aussi :
« Pourquoi les parcours de golf comportent-ils 18 trous ? »
« Pourquoi le trou de golf fait 108mm de diamètre ? »
« Pourquoi parle-t-on de par 3, 4 ou 5 ? »
« Pourquoi parle-t-on de birdies, d’eagles et d’albatros ? »
« Pourquoi a-t-on parfois ‘l’honneur’ au départ des trous ? »
Cette réalité d’aujourd’hui n’est pas le simple effet d’une vieille tradition mal digérée. Elle plonge ses racines dans l’histoire même du golf. Dès le XIXᵉ siècle, le club de golf n’est pas seulement conçu comme un terrain de jeu, mais comme un lieu de sociabilité privée, financé et administré par ses membres. Le parcours est la partie visible de l’iceberg ; le club-house, lui, est la partie immergée de la glace, un espace privé, codifié, où l’on partage bien plus que des cartes de score.
Le golf moderne naît en Écosse entre le XVe et le XVIIIe siècle. À ses débuts, c’est un loisir pratiqué par la noblesse et la bourgeoisie aisée, qui disposent de deux choses rares à l’époque : du temps libre et de grands espaces.
Quand le golf se structure en clubs, ceux-ci reproduisent naturellement les codes sociaux des élites : cooptation, entre-soi, règles strictes, et accès réservé aux fameux « membres ». Le club n’est pas seulement un lieu sportif, c’est un espace social.
Le modèle du « private club »
Le club de golf est aussi une institution privée, financée par ses membres. Les cotisations servent à entretenir le terrain, les bâtiments, le personnel. En échange, les membres obtiennent un accès privilégié, calme, et peu fréquenté.
Limiter l’accès n’est donc pas qu’une question de snobisme : c’est aussi une nécessité économique et logistique pour préserver la qualité du parcours.
Très vite, l’adhésion devient un signe de statut. Être membre d’un club fermé signifie : appartenir à un certain milieu social, partager des codes, un réseau, une culture commune.
Et puis historiquement, les clubs de golf ont aussi servi de lieux informels de décision, pour les négociations économiques et alliances politiques notamment. Un club fermé garantit un environnement discret, stable et socialement homogène, donc idéal pour ces échanges. Cette fonction a renforcé l’idée que le club devait rester sélectif.
Dans certains pays (notamment aux États-Unis), les clubs ont longtemps pratiqué une exclusion explicite — raciale, religieuse ou de genre — reflétant les discriminations de leur époque. Ces pratiques ont laissé une forte empreinte sur l’image du golf, même si elles ont été abolies ou combattues juridiquement au fil du temps.
Une très lente évolution
Depuis la fin du XXe siècle, le modèle a (heureusement) évolué avec la montée des golfs publics et semi-privés, qui ont prôné des politiques d’ouverture (green-fees, journées découvertes), et plus important peut-être, la diversification des profils de joueurs.
Mais l’héritage culturel reste fort : beaucoup de clubs fermés voient encore l’exclusivité comme une tradition autant qu’un modèle économique.
L’exclusivité des clubs de golf n’est donc ni un accident ni une simple posture : c’est un héritage culturel, social et économique profondément ancré dans l’histoire du jeu. Pour certains clubs, elle demeure un moyen de préserver une identité, une qualité de parcours et une expérience rare. Pour d’autres, elle soulève aujourd’hui des interrogations légitimes sur l’ouverture, la diversité et l’avenir du golf dans un monde où l’accès devient un enjeu central.
Dix golfs emblématiques encore très exclusifs
Écosse
1. Muirfield (photo)
Longtemps réservé aux hommes, géré par le très conservateur Honourable Company of Edinburgh Golfers.
2. Royal Troon
Ouvert aux compétitions internationales (et à The Open), mais l’accès hors événements reste très encadré.
États-Unis
3. Augusta National Golf Club
Sans doute le club le plus fermé au monde.
4. Pine Valley Golf Club
Accès quasi impossible, membres très peu nombreux.
5. Shinnecock Hills Golf Club
Club privé extrêmement sélectif, forte dimension patrimoniale (accueille régulièrement l’U.S. Open).
Angleterre
6. Sunningdale Golf Club (Old & New Course)
Club privé très sélectif, accès visiteurs limité et fortement encadré, priorité à la vie de club et aux membres.
7. Walton Heath Golf Club
Accès possible mais filtré ; l’exclusivité repose sur l’étiquette, la réputation et le respect scrupuleux des codes.
8. Royal St George’s (Sandwich)
Club-house réservé, traditions rigides et accès restreint hors compétitions. Fait partie de la rotation de The Open.
France
9. Les Bordes
Orientation assumée vers une expérience « destination privée » plutôt qu’un golf commercial. Politique d’invitations très contrôlée.
10. Morfontaine
Membres triés sur le volet, quasi aucune ouverture extérieure.
De l’Écosse à l’Angleterre, des États-Unis à la France, l’exclusivité des clubs de golf change de forme mais rarement de fond. Qu’elle soit institutionnelle, sociale ou culturelle, elle reste un langage commun du golf traditionnel. C’est parfois critiqué, souvent admiré, mais révélateur de l’histoire du golf.
©The Open









