L’avant-dernier épisode de notre série sur les « Pourquoi du golf » se penche sur les tournois Majeurs, et plus particulièrement sur les tournois du Grand Chelem masculin, dont l’identité est forte et l’aura très importante. La raison est évidemment historique, mais pas que.
Dans le golf mondial, il y a pratiquement un grand tournoi toutes les semaines à gagner, à travers le monde, à travers les différents circuits qui l’anime. Mais pour les victoires qui comptent, qui définissent la carrière d’un golfeur, qui font de lui un champion, il y a les Majeurs. Et uniquement les Majeurs. Quatre tournois seulement, joués chaque année, mais qui semblent appartenir à un autre monde.
Le Masters, le PGA Championship, l’U.S. Open et l’Open britannique ne sont pas simplement des compétitions plus dotées que les autres ou plus médiatisées : ce sont des lieux de mémoire, des chapitres sacrés dans le grand livre du golf.
Pourquoi cette aura ? Pourquoi un palmarès se lit-il d’abord à l’aune des Majeurs, plus qu’au nombre total de victoires ? La réponse tient à une alchimie rare : l’histoire, les coutumes, les symboles et le temps.
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Contrairement au tennis qui fonctionne aussi avec quatre Majeurs qui écrasent un peu tout le reste, le Grand Chelem du golf n’a pas été formalisé dès l’origine. Jusqu’aux années 1930, il n’existait pas de consensus clair sur les tournois les plus importants. Les professionnels visaient surtout l’Open britannique et l’U.S. Open, tandis que les amateurs se mesuraient dans leurs propres championnats.
Tout change en 1930 lorsque Bobby Jones, amateur génial et figure quasi mythologique du golf, réalise ce que la presse appellera rétrospectivement le Grand Slam. A savoir des victoires dans :
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le British Amateur
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The Open Championship
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l’U.S. Open
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l’U.S. Amateur
Le terme est emprunté au bridge, et la légende est née. Plus tard, avec la professionnalisation du golf, les deux championnats amateurs disparaissent de l’équation, remplacés par le Masters, créé en 1934, et le PGA Championship.
Depuis, le Grand Chelem moderne devient ce qu’il est aujourd’hui : le sommet absolu d’une carrière. Un sommet que Rory McIlroy a atteint cette année et qui l’a fait rentrer au Panthéon du sport.
The Open, le berceau du jeu et des Majeurs
Procédons dans l’ordre pour évaluer la place du quatuor dans l’imaginaire collectif et dans leur prestige. L’Open britannique, né en 1860, n’est pas seulement le plus ancien tournoi de golf du monde : il est le retour aux origines. Joué sur les links britanniques (surtout écossais et anglais), battus par le vent, il rappelle que le golf est né d’un dialogue brutal avec la nature.
Le terrain est dur, les rebonds imprévisibles, la météo capricieuse. Le vent est un adversaire du joueur à part entière. Gagner l’Open, c’est prouver que l’on sait jouer le golf tel qu’il a été inventé.
Son trophée, la Claret Jug, est l’un des objets symboliques les plus connus du sport : simple, ancien, presque austère. Le vainqueur n’est pas couronné, il est intronisé. De Old Tom Morris à Tiger Woods, ce trophée soulevé par des légendes raconte une continuité rare dans le sport moderne.
Le Masters, les rituels et le sanctuaire
Mais s’il fallait expliquer l’aura des Majeurs à un profane, on débuterait peut-être par le Masters. Créé en 1934 par Bobby Jones et Clifford Roberts, le tournoi qui se joue sur l’Augusta National est le seul Majeur disputé chaque année sur le même parcours. Cette permanence crée une relation intime entre les spectateurs et le lieu.
Augusta National n’est pas qu’un simple parcours : c’est un théâtre. Pour pénétrer dans ces lieux sacrés, il faut passer par la célèbre Magnolia Lane. Les trous, eux, portent des noms de fleurs. Et les traditions sont immuables. On peut citer le dîner des champions, le concours de Par 3, les commentaires feutrés.
Et bien sûr, la célébrissime veste verte. Plus qu’un trophée, c’est un signe d’appartenance. Elle n’appartient d’ailleurs jamais vraiment au vainqueur qui peut la garder un an avant qu’elle ne retourne au club. Car le Masters est plus grand que ses vainqueurs.
Augusta fascine aussi parce qu’il mêle élitisme, esthétisme et mythe, tout en offrant certains des moments les plus dramatiques de l’histoire du sport : l’Amen Corner, l’enchaînement des trous 11, 12 et 13, est célèbre pour ses effondrements (Greg Norman en 1996, Jordan Spieth en 2016) et ses renaissances (Jack Nicklaus en 1986, Tiger Woods en 1997 et 2019).
L’U.S. Open, symbole de souffrance, le PGA, symbole du dominant
Si l’Open britannique teste l’adaptation, si le Masters joue la carte du prestige façon Wimbledon, l’U.S. Open, lui, teste la résilience. Comme Roland-Garros, il est peut-être le tournoi du Grand Chelem le plus difficile à gagner.
Créé en 1895, il se gagne traditionnellement avec des pars plutôt que des birdies. Rough épais, greens rapides comme du verre, pars défendus comme des forteresses : c’est une lutte permanente, une histoire de survie. L’U.S. Open valorise une idée très américaine du mérite. Ce n’est peut-être pas un hasard si Phil Mickelson, l’un des plus grands talents du golf contemporain au jeu à hauts risques, n’y a jamais triomphé. Il a terminé six fois deuxième…
Longtemps considéré comme le « quatrième » Majeur, le PGA Championship n’en est pas moins essentiel. Né en 1916, il a toujours été pensé comme le championnat des pros contre les pros. Les enseignants des États-Unis y participent et ils font partie intégrante des récits du tournoi.
Moins chargé de symboles anciens, il a progressivement gagné en prestige à mesure que le golf moderne explosait. Aujourd’hui, il récompense souvent le joueur le plus complet du moment, celui qui domine son époque. Walter Hagen et Jack Nicklaus s’y sont imposés à cinq reprises, Tiger Woods quatre fois…
Les Majeurs ne racontent pas seulement qui est le meilleur golfeur de l’année. Ils racontent qui mérite d’entrer dans l’histoire. Les symboles ont contribué à leur popularité aussi : la veste verte en tête, la Claret Jug, les links, Magnolia Lane, les roughs épais. Le golf est aussi une affaire de mémoire, de rites et d’émotion. C’est pour cela que les gagner une fois change une carrière. C’est pour cela que tous les gagner change une vie. Demandez à Rory McIlroy…
Photo : Stuart Kerr/R&A/R&A via Getty Images










