
Voilà de nombreuses années que je voulais revenir à Carnoustie pour aller à la rencontre de Jean Van de Velde, mon voisin et ami landais, avec une simple question : peut-on deviner la réalité de ce que fut, pour lui, cet Open britannique 1999 qu’il faillit remporter si une fée maléfique ne l’en avait privé au dernier moment et avait offert la Claret Jug à l’Écossais Paul Lawrie ?
Je viens de faire ce saut en Écosse et lui adresse la lettre suivante. Je lui avais proposé d’écrire une réponse mais il a préféré corriger certaines erreurs que mes souvenirs ou mes interlocuteurs auraient malheureusement induits.
Nous en resterons donc là. Vive le golf et vive le sport !
Roland Machenaud
La lettre à Jean Van de Velde
Cher Jean,
Pour toi, cher Jean, je suis revenu à Carnoustie. Pour essayer de comprendre ce que tu as vécu en ce mois de juillet 1999 lors de cet Open qui reste dans toutes les mémoires. En France, en Écosse et ailleurs.
Mais pour écrire quoi ? Alors que tout a été dit ou écrit, çà et là, par des spécialistes et par des amateurs plus ou moins éclairés. Mais aussi par toi qui s’en est ouvert à la télévision il n’y a pas si longtemps dans une émission de Canal+. Sans parler des débats maintenant à la mode sur les réseaux dit sociaux où l’ignorance, la prétention ou la perversité sont de règle !
Le médiocre golfeur que je suis a voulu rejouer les 9 derniers trous de ce parcours, ce qui a encore ajouté à ma complexité. Alors j’ai rencontré Keir McNicoll, Head PGA Pro, qui était présent ce dimanche-là de juillet 99 et qui m’a avoué, avec émotion, avoir eu l’occasion de te fournir en clous pour tes chaussures lors de cet Open ! Il avait 15 ans. Mais aussi Kevin Stott, le super-intendant qui travaillait alors avec John Philp, son patron alors. J’ai raté de peu ton caddie actuel, Ainslie Tindal, lui aussi de Carnoustie : est-ce un fait du hasard ?
Le green du 18 de Carnoustie
De ce voyage à Carnoustie, ce que je retiens d’abord c’est l’extraordinaire semaine que tu as passée sur ce links écossais. Tout le monde l’a oublié, sauf toi : il convient alors de rappeler que tu n’étais même pas qualifié pour cet Open ! Tu as dû passer par des qualifications le dimanche et le lundi à Monifieth, un links historique entre Dundee et Carnoustie déjà signalé en 1649 dans des écrits paroissiaux. Tu joues bien -deux fois moins 4- et tu gagnes les qualifications avec trois points d’avance sur le deuxième. Te voilà donc invité à rejoindre Carnoustie dans la précipitation. Avec un tout nouveau putter, avec le choix d’une seule reconnaissance du parcours et sans logement ! Heureusement, ta semaine de chance commence bien et une chambre se libère dans l’hôtel qui surplombe le départ du 1 ! Elle deviendra la Suite Jean Van de Velde.
Jeudi matin, le vent et le haut rough obligent à la prudence : tu termines à la 25e place à +4. Le vendredi, grâce à un jeu exceptionnel et un score de 68, tu prends la tête à +1. Le cut sera à +12, ce qui donne une idée exacte de la difficulté du parcours cette année-là. Mais ton nouveau putter est chaud et la tempête du samedi ne te déstabilise pas. Tu resteras en tête avec 5 coups d’avance sur le deuxième après avoir joué – 1. Ta confiance est totale et un bon diner t’attend avec des copains. Dimanche 14h : « On est là pour gagner », déclares-tu au départ du 1. Ton partenaire, l’Australien Craig Parry, petit bonhomme enjoué, a l’air sympa. Trois bogeys vont toutefois perturber ce dernier tour sur l’aller. Faut s’accrocher d’autant que Paul Lawrie, le local de l’épreuve soutenu par ses fidèles fans écossais, termine fort avec un par miraculeux sur le 18 et une superbe carte de 67. Birdie 14 et au départ du 18, tu as deux coups d’avance. Les jours précédents, tu as joué un fer 2 puis un fer 8 sur ce long par 4 de 460 mètres. Or il commence à pleuvoir et il apparait important d’aller le plus loin possible. Le driver s’impose à toi. Un coup lâché à droite mais chance ! la balle trouve un brin d’herbe, sur le 17, dans une anse du Barry Burn, la rivière qui traverse le parcours de Carnoustie. Alors que vous marchez vers ton second coup, ton caddie, Christophe Angiolini, t’apprend même que Justin Leonard vient de faire un bogey au 18 et que tu as donc trois coups d’avance. Le drapeau est à 190 mètres, avec un hors-limite à gauche et une tribune à droite à 8 mètres de l’axe choisi. Bon coup de fer 2 mais le vent rabat la balle vers la tribune : les mauvais esprits du golf soufflent alors sur cette fin de partie qui deviendra le pire cauchemar imaginé par des mauvais scénaristes. Après une semaine de chance et de bonheur, la guigne tombe sur toi en quelques minutes dramatiques, sans pitié ! Mais tu résistes jusqu’au bout, sans regretter une seconde un mauvais choix : never give up, never complain ! Qu’importe la balle dans l’eau qui se noie dans ce cours d’eau avec la marée qui monte et la pluie qui redouble ! Sortie de bunker et putt de plus de deux mètres pour un sauvetage qui vaut bien le respect et le play-off !
Après quatre tours sur un parcours exigeant d’Écosse, tu termines en tête de l’Open… à égalité avec deux autres joueurs. That’s the problem ! À Carnoustie, ton nom restera toutefois davantage gravé dans le cœur et la tête des golfeurs que celui du vainqueur qu’il convient évidemment de saluer comme il se doit : Paul Lawrie dont le fer 4 posé à deux mètres du drapeau au quatrième trou de play-off a mis fin à tous tes espoirs, un play-off où ta combativité n’a jamais faibli (ah, le birdie au 17 pour rester à un coup de Lawrie). Ton nom a été taillé dans la pierre au bord du Barry Burn. Je suis allé m’y incliner comme par une solidarité humaine évidente.
Ton combat mené avec panache depuis le dimanche matin a permis enfin à un Français, rescapé des qualifications, à se retrouver premier de l’Open après 4 tours, certes à égalité, mais premier quand même. Chapeau champion ! Dans l’ombre de Massy, à jamais !
Grâce à ta performance, tu feras un bond au classement mondial pour atteindre la 43e place, les portes du PGA Tour s’ouvriront et tu seras sélectionné en Ryder Cup… De quoi atténuer la déception qui ne peut être évitée, of course.
Et évitons de remettre sur la table un faux débat, celui qui concerne le rôle joué ou pas par le cadet ! Le patron a toujours été le joueur qui décide au bout du compte ! Et si le compte et la décision ne sont pas bonnes, c’est lui, le joueur, le seul responsable. Point final !
Le golf est un sport qui peut soudain êtes injuste, ingrat, brutal. N’attendez pas de logique apparentée à la science ni de conclusion finale préétablie ! Dure loi du sport qui rend fou ou sage ! Pratiqué par des hommes et des femmes, toute activité sportive de compétition nous enchante et nous effraie par sa dure réalité, son exigence, son art inachevé, son injustice parfois mais aussi par ce besoin d’aller toujours plus haut, plus fort, plus loin dans le respect des autres et des règles.
Cher Jean, je reviens donc de Carnoustie sans conclusion hâtive et précise comme certains l’auraient souhaité : j’ai simplement aimé et souffert avec toi sur ce merveilleux links écossais. D’une part, j’ai vécu une proximité amicale dans le silence et le calme d’un matin écossais et d’autre part, j’ai ressenti un respect pour tous ces champions qui nous entrainent au quotidien vers un meilleur de nous, grâce au sport ! Merci à toi pour ce moment inoubliable qui a propulsé un golfeur français au plus haut niveau mondial. Et oublions les donneurs de leçons qui savent tout et qui ne font rien, les psys de pacotille ou les spécialistes sans spécialité, les sportifs de sofa ou les pros de la tchatche ! L’opinion a remplacé la recherche de la vérité.
Maintenant, place aux jeunes ! J’ai la chance d’habiter rue Arnaud Massy au Pays basque : qu’un prochain vainqueur de l’Open nous donne l’occasion de baptiser une rue dans un nouveau village français ! Ce sera la prochaine étape sur un chemin d’excellence que tu as tracé avec d’autres grands champions français.
Roland Machenaud, Fondateur Golf Planète
Avec mes remerciements à Kim Speirs, responsable marketing communication, qui m’a si bien reçu à Carnoustie.
Pour ceux qui souhaitent revoir ces derniers trous dramatiques de l’Open 1999 : la vidéo
Informations sur Carnoustie, un must play golf ! : links joué depuis le 16e siècle, par 72 de 6 450 mètres, green-fees entre 250 et 350 euros selon la saison : le site du golf
Photos : Golf Planète, Carnoustie Links, Getty via AFP, DR, The Open