
Lucide, drôle, parfois piquant, toujours passionné : Jack Nicklaus a livré une nouvelle leçon lors de sa conférence de presse d’avant Memorial Tournament. À l’aube de ses 86 ans, la légende vivante du golf mêle souvenirs épiques, prises de position tranchées et leçons de vie. Une parole rare, à la hauteur de son héritage.
À 85 ans, Jack Nicklaus n’a rien perdu de sa prestance, ni de son franc-parler. Le Memorial Tournament, qu’il a fondé en 1976 à Muirfield Village, reste son jardin, et sa traditionnelle conférence de presse d’avant-tournoi est toujours un moment suspendu, entre nostalgie, humour, et réflexion sur le golf d’hier et d’aujourd’hui.
Cette année encore, le Golden Bear a régalé journalistes et passionnés. Outre qu’il se soit étonné de l’absence de Rory McIlroy, voici ce qu’il faut retenir d’un moment rare avec l’un des plus grands champions de l’histoire.
Un trou, une philosophie : le par 4 du 14 à Muirfield
Quand on lui demande quel est son trou préféré à Muirfield Village, Nicklaus hésite, pèse ses mots, puis finit par désigner un de ses favoris : le trou n°14, un court par 4 qui résume, selon lui, toute la beauté du golf : « C’est un trou facile, dangereux, joli… il a tout. C’est sûrement mon préféré. » Il y a même rentré trois coups depuis l’extérieur du green pour birdie, dont un en pro-am avec Gerald Ford, le 38e président des Etats-Unis.
Il poursuit : « J’ai toujours aimé les courts par 4. Tout le monde peut y jouer. Pas besoin de frapper fort. Vous pouvez driver, ou poser la balle en sécurité. Il y a un vrai choix stratégique, et ça, c’est ce que j’aime. »
Oakmont 1962 : Palmer, le play-off et un billet de 1 400 $
1962, U.S. Open à Oakmont. Jack Nicklaus n’a que 22 ans, et il affronte Arnold Palmer, icône absolue, dans un play-off sur 18 trous, le lendemain du dernier tour. Il remporte le tournoi, sa première victoire en Majeur, face à une foule acquise à son rival.
Mais c’est une anecdote savoureuse qu’il choisit de raconter : avant de débuter le play-off, Palmer vient lui proposer de partager les recettes de la billetterie du jour promise au vainqueur : « Arnold m’a dit : “ Jack, le public a rempli les tribunes, l’argent va au vainqueur. On le partage ? ” J’ai dit non. Je pensais qu’il allait gagner, et que ce ne serait pas juste. » Finalement, Nicklaus l’emporte… et empoche les 1 400 dollars.
Non aux concours de putting !
Parmi les confessions les plus marquantes de la conférence, Nicklaus a expliqué pourquoi il n’aimait pas jouer certains tournois, en particulier celui de Hartford à l’époque où il se disputait au Wethersfield Country Club (maintenant appelé TPC River Highlands) : « J’ai fini 42e en jouant 68-67-67-67. C’était un concours de putting. Et moi, ça ne m’intéressait pas. »
Il rejette l’idée reçue selon laquelle “on drive pour la galerie, on putte pour les dollars” : « Le putting est important, bien sûr. Mais le golf, c’est tout : toucher les fairways, les greens, jouer des coups de fer précis, et ensuite, oui, rentrer les putts. Si ce n’est qu’un concours de petits coups, ce n’est plus du golf. Même si j’étais un bon putter, je n’aimais pas ça. »
L’absence incomprise de McIlroy
Parmi les échanges les plus inattendus de la conférence de presse, Jack Nicklaus a exprimé avec retenue mais franchise sa surprise face au forfait de Rory McIlroy pour le Memorial Tournament 2025. Une absence d’autant plus étonnante que le Nord-Irlandais avait pris l’habitude de disputer le Memorial et l’Open du Canada, enchaînés chaque année depuis 2021.
« Je ne sais vraiment pas pourquoi Rory ne m’a pas parlé, a confié Nicklaus, visiblement touché. Je ne peux pas répondre à cette question. Je sais qu’il doit établir un calendrier qui lui convient. Je comprends, j’ai dû faire pareil à mon époque. Mais cette année… nous n’étions tout simplement pas inclus. »
Un choix difficile à ignorer, d’autant plus que McIlroy est membre du Bear’s Club, le parcours de Nicklaus à Jupiter, en Floride, et qu’il l’avait sollicité personnellement avant le Masters pour discuter de la meilleure façon de jouer Augusta.
After Jack Nicklaus giving Rory McIlroy time pre Masters to help guide him on how best to play Augusta National, Rory is not only skipping his event, but also didn’t give him the courtesy of a phone call to let him know…
— Flushing It (@flushingitgolf) May 27, 2025
Depuis, silence radio. Nicklaus ne lui en tient pas rigueur – « Je ne jette pas Rory sous le bus, » a-t-il assuré –, mais il souligne que, par tradition, lorsqu’un joueur régulier décide de ne pas participer à un tournoi organisé par une légende du circuit, un petit coup de fil est de mise. Rickie Fowler, par exemple, avait fait le déplacement jusqu’à Orlando pour expliquer à Arnold Palmer pourquoi il ne pouvait pas jouer Bay Hill.
En bon diplomate, Nicklaus conclut avec élégance : « Je suis un grand fan de Rory. Je l’ai toujours été. Et je pense que je le resterai. J’ai juste été un peu surpris, oui. »
Une tradition d’élégance : les lettres manuscrites
Comme Arnold Palmer avant lui, Nicklaus perpétue une tradition qui en dit long sur sa classe : écrire à la main une lettre à chaque vainqueur de Majeur. « Je le fais depuis des décennies. Je pense n’avoir oublié personne depuis au moins 30 ans. »
Après la victoire de Rory McIlroy au Masters, il lui a écrit quelques lignes : « Il a fait quatre doubles bogeys, ce qui est rare pour un vainqueur, mais il a su surmonter tout ça avec des coups spectaculaires. Pour moi, le vrai soulagement pour lui, ce n’est pas le Grand Chelem, c’est d’avoir enfin gagné à Augusta. »
Il raconte même avoir croisé Scottie Scheffler récemment dans un vestiaire : « Je lui ai demandé s’il avait reçu ma lettre. Il m’a répondu qu’il n’était pas encore rentré chez lui, mais qu’il l’attendait. Ça me fait plaisir. »
Pourquoi continuer à écrire ? « Parce que moi aussi j’ai reçu des lettres, de Bobby Jones notamment, et j’ai toujours apprécié. Alors je rends ce que j’ai reçu. »
La rigueur d’un champion : “Il n’y a pas d’excuse pour ne pas être prêt”
Jack Nicklaus est aussi revenu sur l’importance de la préparation, valeur qu’il place au sommet de son éthique sportive. Il évoque avec humour le PGA Championship 1988 où il avait négligé son entraînement : « J’ai raté le cut. Et le pire, c’est que je travaillais alors pour ABC, donc j’ai dû rester tout le week-end pour commenter les autres joueurs… »
Le lendemain, sa femme Barbara lui pose devant son petit-déjeuner un gobelet pour enfant, ramené de McDonald’s, sur lequel on pouvait lire : “Il n’y a pas d’excuse pour ne pas être bien préparé.” Il en rit encore aujourd’hui : « Elle avait parfaitement raison. Je l’ai gardé ce gobelet, il me rappelle que sans préparation, on ne peut pas réussir. »
Il a toujours répondu aux médias
Depuis le début de saison, plusieurs joueurs ont refusé de parler aux journalistes à la suite de leur partie à l’instar de Rory McIlroy au PGA Championship. Pour l’homme aux six vestes vertes, cela fait partie du job. « J’ai toujours senti que vous aviez un travail à faire. Et pour le faire, vous aviez besoin de me parler. Peu importe si j’avais bien joué ou non, si vous vouliez me parler, je répondais. Et je l’ai toujours fait. »
🚨🎙️🗣️ #CLASS ACT: 18-time major champion Jack Nicklaus on players responsibility to speak to the media:
« Whether I played well or whether I played poorly, if you still want to talk to me, I’ll talk to you. And I always have. »
(Via: @GolfDigest) pic.twitter.com/93X8AfUOIU
— NUCLR GOLF (@NUCLRGOLF) May 27, 2025
©JONATHAN BACHMANGETTY IMAGES NORTH AMERICAGetty Images via AFP