
Julien Guerrier est l’un des six Français qui va disputer l’Open britannique la semaine prochaine au Royal Portrush. Le Rochelais est allé en repérage sur les lieux il y a quelques semaines afin de tester le parcours et gouter aux links avoisinants. L’élève de Jérôme Theunis et de Raphaël Jacquelin nous a accordé une interview pour relater ce périple. Il nous explique aussi comment il va aborder le troisième Majeur de sa carrière, le tout premier en tant que professionnel, à 40 ans.
GOLF PLANETE : Cette décision de vous rendre en Irlande du Nord pour repérer le parcours du Royal Portrush, comment est-elle née ?
Julien GUERRIER : C’est une idée de mon caddie (Chris Liley), qui a un peu plus d’expérience que moi à ce niveau-là. Il a fait plusieurs British, notamment avec « Raph » (Jacquelin, son coach performance). Il m’a dit que ce serait bien d’aller faire un tour là-bas. On a joué Portrush et deux autres parcours, Portmarnock et Baltray. On a pas souvent l’occasion de jouer ce type de parcours sur le DP World Tour. L’idée était de se familiariser avec ces links, à la fois dans les coups à jouer et dans l’œil qu’il faut avoir pour les jouer.
Évidemment depuis ce petit périple, j’ai joué des parcours bien différents, comme celui du BMW en Allemagne. Et Portrush sera sûrement différent quand arrivera le British. Est-ce que ça peut faire une différence ? Je ne sais pas. Mais on essaie d’optimiser comme à chaque fois nos chances de performer.
G.P. : Avant de parler de Portrush, quelle impression générale vous a laissé ces parcours ? Êtes-vous un fan de ces links britanniques ?
J.G. : Je fais partie de ces joueurs qui aiment jouer ces links. Bien sûr il y a une part d’aléatoire, des rebonds qui sont parfois difficiles à accepter… Mais ça fait partie du charme de ces parcours. Il faut prendre conscience des atouts et des inconvénients des links. Pour mieux l’affronter.
G.P. : Lequel des trois vous a le plus séduit ?
J.G. : Portmarnock. J’ai vraiment aimé ce parcours, plein de charme, le plus beau visuellement. Baltray, c’est vraiment le pur links, c’est un petit bijou qui essaie d’entrer dans la rotation du « British » et ce serait mérité. Ils appellent ça le « bijou caché ». Et Portrush, j’ai apprécié aussi bien sûr, c’est un très très grand parcours !
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G.P. : Qu’avez-vous pensez en détails du Royal Portrush ?
J.G. : Quand je l’ai joué, il était “accessible”. Il n’y avait pas de vent, le gros rough n’était pas très haut. En un mois, il aura peut-être poussé… C’est un parcours où il y a pas mal de hors limites. Tout sera forcément plus rasé au niveau des fairways. Le parcours sera sûrement plus ferme. Ce que je retiens, c’est qu’il faut être un “joueur” sur ce genre de parcours. Au « British », il faut contrôler ses vols de balle. Je ne parle pas de technique. Il faut savoir manier la balle.
Il y a de nombreux hors limite à Portrush, notamment sur le trou n°1 avec un départ intimidant
G.P. : En avez-vous profité pour vous exercer à taper des coups inhabituels sur le circuit traditionnel, que l’on voit fleurir sur les links, des « stingers », des longs putts de l’extérieur du green, des « drivers on the deck » ?
J.G. : Quand j’ai joué Portrush, il y avait quand même deux clubs de vent donc on a pu s’exercer un peu à ça. Sur les deux autres parcours, ça ne soufflait presque pas du tout. Je n’ai pas trop fait de « stingers ». Mais beaucoup de « bump and runs », des chips roulés longue distance, oui ça j’ai fait. Il faut vraiment avoir un contrôle sur le spin de la balle, que ce soit en l’air ou pour la faire rouler. C’est atypique comme style de jeu.
G.P. : Quels sont les trous les plus difficiles que vous avez pu identifier ? Est-ce que « Calatimy Corner » (le 16*) mérite sa réputation* ?
J.G. : Ah oui… On a un long fer et le ravin est proche. Il y a de la place à gauche pour sécuriser je trouve. Enfin, il y avait avec deux clubs de vent. S’il y a quatre ou cinq clubs de vent, ce ne sera pas la même histoire. Honnêtement, ce qui m’a le plus impressionné, c’est le « tee shot » du 1, avec le hors limite à gauche, le hors limite à droite… Et pourtant je n’ai pas pu partir des « back tees ». Avec plus de distance, plus de vent, plus de gros rough sur la partie gauche notamment, ce sera très intimidant. Je me souviens d’un Irish Open où j’avais tapé drive fer 2 sur ce par 4.
G.P. : D’ailleurs, Rory McIlroy avait débuté son Open en 2019 avec un quadruple sur ce trou…
J.G. : Il ne sera pas le dernier… Pour un trou d’ouverture, ce n’est pas super confortable (rire) !
G.P. : Vous allez disputer votre troisième Majeur à 40 ans, le premier en tant que professionnel après « The Open » en 2006 et le Masters en 2007 en tant qu’amateur : est-ce que cela change quelque chose dans votre approche du tournoi ?
J.G. : Évidemment j’ai plus d’expérience (rire) ! En tant qu’amateur, j’ai ressenti pas mal de pression, on a envie de bien faire, d’être à la hauteur. J’ai plus l’habitude de jouer avec les joueurs de renom. Au Scottish, j’ai joué ma “reco” avec Viktor Hovland par exemple, j’ai tapé à côté de Scottie Scheffler et de Justin Thomas. On est forcément moins impressionné. Mais bien sûr, c’est un Majeur. Ce sont des tournois qui sont au-dessus des autres.
J’ai changé de trajectoire, je joue désormais en draw et il faut digérer tout ça, il faut être patient mais ma frappe de balle est vraiment meilleure.
G.P. : Avez-vous un coup de cœur particulier pour l’Open britannique, vous qui avez remporté le British amateur en 2006 ?
J.G. : Le British, ça représente l’histoire du golf. Moi qui vient d’une famille du tennis, je dirais que c’est notre Wimbledon. C’est le plus vieux de tous les Majeurs. Je suis peut-être plus attaché au Masters, c’est vrai. Mais j’aime cet Open britannique. Je viens du club du golf de la Prée la Rochelle. Je suis habitué au vent depuis mon enfance. J’adore le vent. Je suis un peu moins fan du côté aléatoire des links, qui peut être frustrant quand on est joueur professionnel et qu’on travaille dur pour aller vers l’excellence. On entend tellement d’histoire entre ceux qui jouent le matin, l’après-midi, la météo qui change radicalement… Il y a des départs de 7h du matin jusqu’à 16 heures !
Mais j’aime le combat et ce tournoi réclame d’être un combattant.
G.P. : Dans quelle forme abordez-vous ce tournoi ? Vos résultats ont été probants en début de saison, puis un peu en deçà ces dernières semaines, comment êtes-vous dans votre frappe de balle en ce moment ?
J.G. : On a décidé de reconstruire mon swing, en tout cas de changer ma trajectoire prioritaire qui était le fade. Toutes mes « stats » de qualité de frappe sont en hausse, mais c’est vrai que les résultats ont été moins bons dernièrement. Je dois digérer tous ces changements. J’ai eu pas mal de problèmes de ce côté-là. Je suis passé à une trajectoire en draw. C’était un passage un peu obligatoire dans mon évolution de swing.
Aujourd’hui, j’estime que je tape mieux la balle qu’avant. Mais c’est vrai, le scoring est moins bon, il est moins optimisé. C’est compliqué d’être patient. Mais la façon dont je joue, mes statistiques de dispersion, tout est meilleur.
La question, c’est plutôt de savoir quand ça va sourire.
G.P. : Cette reconstruction, elle était nécessaire pour quelle raison ?
J.G. : Pour mon dos, pour le préserver, et puis aussi par rapport à mon âge (il a 40 ans). Aujourd’hui, c’est encore un peu compliqué d’appréhender une balle qui tourne de droite à gauche, alors qu’avant je la voyais tourner de gauche à droite. Ce ne sont pas les mêmes ratés, on n’ouvre pas les mêmes côtés du parcours. Je n’ai pas changé pour changer. On ne modifie pas forcément son swing quand on sort des deux meilleures saisons de sa carrière.
J’ai toujours modifié des petites choses, chercher à m’améliorer constamment, mais là, il est possible que ce soit un changement important et définitif. Il est possible que le draw s’installe durablement dans mon jeu…
*Trou n°16, par 3 de 215 mètres, le « Signature Hole » du parcours défendu par un immense ravin 30 mètres en contrebas du green
Photo © ANGEL MARTINEZ / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP