Qui a dit que jouer n’était pas gagner? Certainement pas un Américain, puisque les joueurs de la team US vont désormais être payés pour disputer la prestigieuse Ryder Cup. Une certaine vision du sport et de l’esprit d’équipe aux États-Unis. Qui c’est les plus forts? Évidemment c’est les billets verts.
Par Simon Dutin
Vous connaissez forcément le narratif, vous l’utilisez peut-être vous-même, à l’occasion, pour tenter d’évangéliser profanes ou réfractaires à la petite balle blanche dans les dîners, et souvent, cela donne à peu près cela :
«- Savez-vous que tous les deux ans, (depuis presque un siècle), l’Europe et les Etats-Unis se défient par équipe, sur un parcours de golf ? Eh bien oui, ce sport individualiste par essence devient alors, le temps d’une semaine, une ode au collectif, à la camaraderie et au team Spirit. Des champions, qui, chaque (autre) semaine de l’année, affrontent individuellement une armée d’autres joueurs, se transforment, durant les 3 jours de compétition, en coéquipiers modèles, transcendés par leur cocarde continentale, le stars & stripes et les 12 étoiles européennes.
Mais si ! Vous avez forcément entendu parler de la Ryder Cup, ce légendaire affrontement entre Nouveau Monde et Vieux Continent, ce match entre l’ogre américain et la petite Europe. En jeu ? Plus qu’un trophée, le prestige, la fierté attachés au privilège d’écrire l’Histoire du sport… car oui je vous le disais, cela fait bientôt 100 ans que cela dure (la 1ère édition officielle eut lieu en 1927 au Worcester Golf Club, dans l’état du Massachusetts, USA). À l’instar d’autres disciplines, (on pense notamment à la voile et sa coupe de l’America), on se plaît à convoquer l’image de David face à Goliath, à faire de ce match une allégorie du nain qui terrasse le géant, de l’ambitieux qui déboulonne le prétentieux. Une superproduction dans laquelle Robert Schuman tenterait tous les deux ans de faire taire la grande gueule de l’Oncle Sam. On caricature à peine si l’on affirme que les motivations, les ressorts, les moteurs de chaque équipe sont historiquement opposés. Côté européen, éternel outsider, on veut triompher afin d’exister, face à des Américains qui veulent nous écraser pour continuer à régner. Un groupe soudé et opiniâtre face à un assemblage des meilleures individualités.
« – Quelqu’un veut un dessert?
Au moment où vous réalisez que vous êtes en train de perdre votre auditoire, une seule solution, convoquer LE thème universellement fédérateur. Le pognon, l’oseille, le flouze, les euros, les dollars, l’argent.
« – Le plus pur dans cette affaire, reprenez-vous, c’est que les joueurs ne sont pas payés pour disputer cette compétition. Bah non, pas de dotations, puisque les sommes, pourtant colossales, générées par les droits TV et la billetterie, vont dans les poches du DP World Tour et du PGA Tour, les circuits de tutelle de chaque pays / continent, respectivement hôte de l’évènement par alternance.
Ce n’est pas beau ça ? Jouer pour la victoire et rien d’autre. Pas question de remplir son compte en banque mais plutôt d’écrire un conte en bande. Ce n’est pas pas moi qui le dis, c’est Justin Rose, l’un des vieux sages de la team Europe. Invité surprise de la dernière édition, l’Anglais le rappelait après la victoire des siens à Rome en 2023 : « Un bon duo au sein de l’équipe européenne ne signifie pas jouer avec votre meilleur ami. Cela signifie d’abord de représenter quelque chose de plus grand que vous-même ».
Allez savoir si c’est le système de mesure différent d’un côté et de l’autre de l’Atlantique qui l’explique, toujours est-il que nos meilleurs ennemis américains ne voient désormais plus la chose aussi grande.
L’appât du gain
Le pavé est en tout cas tombé dans la marre cet automne, un an avant la 45ème édition organisée à Bethpage dans l’état de New-York. En 2025, les joueurs de la Team US veulent en effet leur part du gâteau. Certes, c’est l’occasion de prendre une revanche à domicile après la fessée prise en Italie (16 1/2 – 11 1/2), mais pas à n’importe quel prix. Ou plutôt à un certain prix justement.
Nos confrères du vénérable quotidien anglais “The Telegraph” rapportaient ainsi début Novembre que le contingent de joueurs américains se partagera un pactole de 4 millions de dollars (environ 400 000$ chacun) afin de se donner la force et l’envie de laver l’honneur outragé d’une nation aux quelques 30 millions de pratiquants.
Cantlay trouble-fête
De quoi lancer avec un peu d’avance un match dont la tenue fait saliver toute la planète golf, a fortiori depuis les embrouilles de sortie de boîte aperçues le samedi 30 Septembre 2023 sur le green du 18 et le parking du Marco Simone Golf & Country Club. Un peu de chahut auquel le glacial Patrick Cantlay n’était pas étranger (son caddie Joe La Cava avait failli en venir aux mains avec Rory et big Shane), le même qui s’était déjà fait remarquer durant cette levée par un look dépourvu… de couvre-chef.
Pas de casquette officielle pour le Californien, qui n’avait alors pas forcé sur les justifications face aux questions. Tout le monde avait fini par piger que malgré plus de 70 millions de dollars de gains estimés en carrière, l’américain en voulait encore. En voulait plus. En voulait tout court.
On rêvait alors d’un “greedy” Cantlay dans le désert d’une cupidité toute personnelle, mais Patrick a semble-t-il au contraire inspiré ses coéquipiers tout aussi fortunés. Ces derniers veulent tous être payés pour jouer l’an prochain. Certains argueront qu’à 700$ le ticket d’entrée pour une journée à Bethpage, les stars du show auraient tort de ne pas vouloir croquer.
L’incompréhension européenne
Pas du goût des tauliers européens en revanche, drapés dans leur désintéressement et leur fierté, Rory en tête. Invité à réagir à cette bombe par nos confrères de BBC Sports, le charismatique leader nord-irlandais a répondu: « Personnellement, je paierais pour avoir le privilège de jouer à la Ryder Cup. Je ne pense pas qu’aucun des 24 joueurs de l’une ou l’autre équipe ait besoin de ces 400 000 dollars. Tous les deux ans, il y a 104 et 103 semaines pendant lesquelles vous pouvez jouer au golf et être payé. »
« – Alors ? Qu’est-ce que je vous disais ?! Même Rory le dit ! » tentez-vous fièrement de conclure alors que vous avez éteint tout le monde à table…
On dit souvent que l’argent ne fait pas le bonheur. Pas certain non plus qu’il fasse l’honneur.