Alors que la sécheresse sévit sur toute l’Europe et que la France du golf est touchée de plein fouet par cette situation catastrophique, la suite de notre entretien exclusif avec Alejandro Reyes aborde les enjeux présents et futurs en matière d’entretien de terrain.
En Italie comme en France la sécheresse affecte les parcours du golf qui doivent tenter de trouver des solutions à cette nouvelle donne. À commencer par le futur parcours de la Ryder Cup 2023 pour lequel Alejandro Reyes est le consultant permanent. L’Espagnol détaille dans cette seconde partie sa vision pour l’entretien des parcours de plus en plus encadré.
Où vivez-vous aujourd’hui ?
Je vis à Rome avec Lara Arias qui travaille avec moi chez T.A.S. (heureusement !) au golf du Marco Simone. Le parcours doit accueillir la prochaine Ryder Cup en 2023. Nous avons envisagé un temps de créer une famille, mais on a soupesé le pour et le contre et on a décidé de se consacrer entièrement à ce dernier défi. Mais après la Ryder, place aux enfants !
Mais vous avez aussi votre activité de consultant, alors combien de temps est consacré au Marco Simone ?
Un tiers de mon temps. J’habite sur le golf, donc je suis sans cesse présent sauf pour mes missions à l’étranger.
Le parcours est déjà en excellente condition. Quels sont néanmoins les principales interventions à réaliser ?
Tout ce qui touche les infrastructures adjacentes comme le practice. Elles seront achevées en septembre pour l’Open d’Italie. Concernant le parcours, nous avons encore du travail ! Ne serait-ce qu’après la visite du capitaine européen Henrik Stenson (l’entretien a été réalisé avant son éviction) qui a souhaité plusieurs modifications supposées rendre le parcours encore plus difficile. (On parle tout de même de rétrécir sensiblement les fairways, raccourcir le 18 pour avoir plus de spectacle et rallonger le tee 11 qui est atteignable au drive).
Lara Arias est la vraie chef d’orchestre
En quoi votre travail est-il différent par rapport au National ?
Mon rôle au Marco Simone est plus de superviseur. Je prépare et contrôle le plan d’agronomie pour l’entretien du parcours et l’organisation des grandes compétitions. Nous avons la chance d’avoir Lara Arias sur place ! C’est elle, la vraie chef d’orchestre.
Hormis le parcours, on a le sentiment que les infrastructures ne seront pas prêtes à temps. Inquiet ?
Pff… ah l’Italie ! Tout se fait au dernier moment ici, je l’ai appris à mes dépens : à la veille de mon premier Open d’Italie, ils étaient encore en train de refaire les peintures du club-house ! Et finalement, tout s’est très bien passé. Bon là, c’est autre chose… Alors pour tout vous dire, je suis encore un peu inquiet mais optimiste !
L’Italie subit actuellement une terrible sécheresse. Comment l’appréhendez-vous ?
Pour l’instant, au Marco Simone, nous ne souffrons pas de la sécheresse. Mais l’eau est de mauvaise qualité. Notre gazon la tolère grâce à notre programme agronomique, mais ça pourrait devenir problématique. Nous avons à moyen terme le projet de nous raccorder à un plan d’eau recyclée qui se trouve à une centaine de mètres du golf. Ce sera bien mieux, et nous pourrons parer à toute éventualité.
Les normes environnementales sont-elles aussi contraignantes qu’en France ?
Il y a des différences oui, moins contraignantes peut-être. Je dirais surtout que cela est moins cadré !
En France, les nouvelles normes environnementales pour 2025 vont transformer le métier, notamment avec le zéro phyto : qu’est-ce que ça va changer ?
De nombreux problèmes seront résolus grâce à l’apport mécanique. Mais aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure d’entretenir convenablement les greens sans apport de produits phytosanitaires. C’est une réalité, un grand défi. En ce moment, nous sommes inondés de nouveaux produits « bio-contrôle » sans connaître véritablement leur efficacité. Il faut les essayer, les doser, les combiner… L’autre difficulté est la zone géographique : un produit n’a pas la même efficacité à Biarritz qu’à Hardelot par exemple.
Les greens seront moins rapides
Concernant les greens, à quoi ressembleront-ils ?
Je ne sais pas si les greens ne pitcheront plus comme on le dit. Ce qui est sûr, c’est qu’ils seront moins rapides. On ne pourra plus tondre comme aujourd’hui car plus il est ras, plus il est faible et soumis au stress extérieur. « Moins rapides » ne signifie pas moins amusants, hein !
Concernant l’eau, les parcours du Sud soumis à la sécheresse ne doivent-ils pas envisager de tout réensemencer ?
Dans l’idéal, oui, mais c’est un coût énorme ! Et l’opération est délicate quant à la sélection des graminées. Il y a tellement de variétés de graines ! Encore une fois, le contexte géographique a son importance. Pas besoin de faire des kilomètres pour s’apercevoir de la différence ! Tenez : on a essayé avec succès une variété de bermuda grass pour l’Old Course de Cannes-Mandelieu, en bord de mer. Et bien figurez-vous que celle-ci ne convient pas au parcours de Cannes-Mougins, pas loin à seulement 150 m d’altitude ! À Hossegor, des tests ont très bien marché jusqu’à l’été 2021 qui fut particulièrement froid et pluvieux. Et patatras, tous nos efforts ont été réduits à néant… À la limite, plus on descend de latitude comme en Espagne, plus on est assuré du résultat…
Les premières zones de fairways non entretenues seront-elles monnaie courante ?
Je n’y suis pas favorable : il faut aussi laisser s’exprimer les joueurs moyens qui peuvent rater un départ. En revanche, on peut rétrécir la surface de fairways en instaurant une zone de petit rough. Parfois, on joue mieux sur du petit rough que sur les fairways !
Les départs ne pourraient-ils pas devenir synthétiques l’hiver ?
Avant, le golf était un sport de saison. Aujourd’hui, on joue toute l’année ! Sur les golfs très fréquentés, l’herbe ne peut plus pousser l’hiver surtout s’il y a des arbres autour ! La première des solutions, c’est d’augmenter la surface des départs. Mais dans des cas extrêmes, je ne suis pas contre le fait d’installer du synthétique.
Il y a un manque criant de personnel en France
Quels sont les points forts et les points faibles des golfs français en matière d’entretien ?
Les golfs français ont intégré le concept environnemental qui est de plus en marqué. L’eau d’arrosage est de qualité et, en général, les golfeurs respectent le parcours. Je crois qu’ils apprécient le travail fait par les équipes d’entretien.
En revanche, il y a un manque criant de personnel et le parc machines n’est pas assez entretenu. Sans ça, nous aurions davantage de parcours très soignés. J’ai remarqué enfin que les systèmes d’arrosage sont souvent vétustes et peu efficients.
Le bunker n’est-il pas un mal bien français ?
Je ne sais pas, mais le bunker nécessite un entretien constant et demande beaucoup de main d’œuvre. Si on en manque, je préfère que le personnel se consacre à d’autres zones de jeu. Moi-même, je préconise d’en faire moins, notamment sur les contours de bunkers.
Y’a-t-il une patte Reyes ?
Ouh là ! Je n’ai jamais réfléchi à cette question… Passionné par l’agronomie, je privilégie les conditions du terrain pour le jeu de golf et la satisfaction de sa clientèle. Après, s’il est esthétiquement beau, tant mieux !
On pourrait penser aussi à l’apport conséquent de sable…
Ah, vous croyez que j’ai cette image ? Ce n’est pas faux : l’apport de sable est important. Le sable assainit les surfaces, surtout si elles sont argileuses ! Je rappelle que les différentes maladies proviennent d’un excès d’eau (à 90 % sur un green). Il faut donc éviter la stagnation d’eau dans nos surfaces de jeu.
A propos de sable, celui de la plage qui longe les fameux links, n’est jamais utilisé. Pourquoi ?
Ben parce que c’est interdit !!! Et puis il faut faire attention car ce sable peut-être fortement chargé en sodium (sel). Enfin bon, les anciens links se sont servis allègrement du sable de plage pendant des décennies et ils sont magnifiques…
Aux États-Unis, le rôle de superintendant est central. Ce n’est pas encore le cas en France. N’incarnez-vous pas ce renforcement nécessaire de la fonction ?
Mmm, la situation est complexe… Déjà tout est question de sémantique, chaque pays a sa terminologie. Mais il est vrai que le rôle de superintendant va croitre compte tenu de l’importance du terrain. Moi, je n’ai qu’un rôle de conseil. Je veux être clair : il ne s’agit pas de prendre la place de quelqu’un, il s’agit d’avoir une hauteur de vue et de donner aussi des conseils de management.
Assistons-nous à l’apparition de l’hyper spécialisation dans votre métier ?
Sans doute. Un superintendant doit se former dans des différents domaines : l’agronomie, le management, la comptabilité, la mécanique et l’hydraulique.
Concernant le simple greenkeeper, ce n’est pas vraiment ma philosophie de travail… J’aime bien former les équipes sur plusieurs niveaux de compétences qu’elles soient sur les greens, les fairways, les bunkers… Il faut donner un travail qui ne soit pas monotone.
Y’a t-il une machine ou un produit sur le point de révolutionner l’entretien ?
Non, pas pour le moment. Pour moi, la véritable solution passe par le développement génétique des nouvelles graminées adaptées au climat de chaque latitude.
Comment voyez-vous les parcours en 2050 ?
L’écart entre les parcours prestigieux et ceux de la moyenne sera plus grand. En termes de prix et de moyens mis en œuvre. Le cadre sera encore plus écologique et avec un entretien de plus en plus robotisé. Nous aurons aussi davantage de parcours qui permettent de jouer rapidement.
Et vous, en 2050 que ferez-vous ?
Je ne me vois pas ailleurs que sur un parcours ! Je prends beaucoup de plaisir dans mon métier. Je voyagerai sans doute moins car c’est la partie qui me pèse le plus.
Entretien réalisé par Sébastien Brochu
Photos : ©Armin Weigel / dpa / AFP & Justin Sullivan Getty Images via AFP