Voici une loi qui, bâtie sur les meilleures intentions du monde, pourrait avoir des effets négatifs dans plusieurs secteurs, dont le golf, dans les années à venir.
Le sujet n’est pas simple mais essayons de le résumer.
En 2018, dans son plan biodiversité, Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique et solidaire, utilise pour la première fois l’expression Zéro Artificialisation Nette (ZAN) dont l’objectif est de ralentir le rythme d’artificialisation des sols, de limiter ainsi la consommation de nouveaux espaces et si possible, de rendre à la nature l’équivalent des superficies consommées. Bref, de faire face à l’urbanisation galopante, et à la multiplication des infrastructures de services ou de transports à l’instar des zones commerciales. Et bien entendu au réchauffement climatique. Les chiffres sont parlants : chaque année, ce sont 165 hectares de milieux naturels qui sont artificialisés, soit 6 fois la superficie de Paris.
Pourquoi le golf est concerné
La loi Climat et Résilience adoptée en août 2021 fixent précisément deux dates :
– 2030 pour diviser par deux le rythme d’artificialisation par rapport à la période de référence 2011-2021
– 2050 pour arriver à une artificialisation nette qui soit nulle. C’est à dire pour que tout espace artificialisé donne lieu à un espace équivalent rendu à la nature.
En quoi le développement du golf, souvent poumon vert naturel au cœur d’une urbanisation polluante, est-il concerné par cette loi et ces objectifs ?
« Un objet encore mal caractérisé »
Peut-être d’abord parce que l’artificialisation est « un objet encore mal caractérisé », explique un expert connu. « On comprend bien en effet que l’impact sur la biodiversité n’est pas le même selon qu’on transforme une forêt en parking goudronné ou une terre agricole en espace vert ! Mais les moyens de mesure sont hétérogènes et les réalités souvent floues ».
Ensuite, pour ce qui est des développements golfiques, il serait dangereux de les assimiler à des aménagements urbains qui imperméabiliseraient les sols, ce qu’ils ne font pas.
Cette loi ajoutée aux dispositions législatives qui concernent les zones humides et le remplissage des nappes phréatiques peut conduire à stériliser des projets fonciers comme les golfs.
La protection des zones humides est actée d’une manière réglementaire dans la loi et les SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux). L’article 23 de la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité est venu modifier l’article L.211-1 du code de l’environnement comme suit : « on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année »
Un seul changement de mot
L’examen de projets récents d’implantation de nouveaux golfs a montré que le changement d’un seul mot « et » remplacé par « ou » a multiplié par un facteur supérieur à 15 les surfaces dites humides. Ainsi, aujourd’hui une terre argileuse, qu’elle soit située sur un vallon ou sur une butte, au-dessus d’une nappe phréatique constitue une zone humide ou pas. L’absence quasi constante de flore hygrophile sur ces sols, au cours d’une année, les fera qualifier de « peu fonctionnel », mais ils resteront classés en « zone humide », et leur modification nécessitera toujours une compensation de 1 ha pour 1 ha.
En cas de destruction d’une surface de zone humide, une compensation est prévue de 1 pour 1 pour les zones humides peu fonctionnelles , basées sur une appréciation pédologique, et plus (souvent de 2) pour celles considérées comme fonctionnelles, basées sur la présence de végétation hygrophile.
Implantation impossible de nouveaux golfs en France ?
Cette appréciation réductrice, injustifiée sur le plan environnemental, élimine la possibilité d’implantation de nouveaux golfs pratiquement partout en France.
Si sur le plan réglementaire, la clarification peut être louable, sur le plan environnemental, qui est celui fondamental, celle-ci amène des contraintes éloignées des objectifs initiaux. Dans le cas des golfs, l’engazonnement des sols répond aux trois objectifs environnementaux initiaux dévolus aux zones humides: « elles constituent un réservoir pour la biodiversité liée à ce type de milieu, elles permettent de filtrer naturellement les pollutions des eaux superficielles et souterraines, et enfin, elles jouent un rôle de piège à carbone ». De ce fait, en aucun cas, la surface d’un golf ne devrait être assimilée à une surface destructrice de zone humide, y compris en cas de modification de la planéité de celle-ci, dès lors qu’elle est à nouveau végétalisée.
Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est un objectif fixé pour 2050. Il demande aux territoires, communes, départements, régions de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020. Si l’objectif est louable, les modalités font polémiques chez les élus et les professionnels chargés de son application. En ce qui concernent l’implantation des nouveaux golfs, déjà certaines DDT ont informé les élus qu’en cas d’implantation d’un nouveau golf sur leur territoire, la surface de son emprise diminuerait d’autant leur possibilité future d’urbanisation ! Encore une fois, partant d’un bon sentiment initial, la dérive sectaire de certains fonctionnaires militants, peut faire apparaître des interprétations fallacieuses. Conscients de ces dérives, la discussion n’est pas close entre les sénateurs et les députés pour aboutir à une définition plus claire des surfaces à inclure dans celles dites artificialisées.
Drainage et artificialisation
Revenons à l’origine de l’artificialisation des sols. Son objectif initial est de permettre l’infiltration des eaux de surface afin de bénéficier à la fois d’une réalimentation naturelle des nappes phréatiques et du pouvoir auto-épurateur des sols. Qu’en est-il des terres agricoles drainées ? Celles-ci reçoivent les eaux de pluie, le drainage les allège des eaux de surfaces avant même que celles-ci atteignent les nappes phréatiques. Ces surfaces ne devraient-elles pas être considérées comme artificialisées ? Dans le cas de l’arrêt du drainage sur certaines de leurs surfaces, ces surfaces nouvellement non-drainées ne devraient-elles pas être reversées dans les surfaces non artificialisées en déduction de celles qui vont le devenir ? Ainsi, dans le cas de l’implantation d’un golf sur une terre agricole déjà drainée, mais dont la surface drainée sera considérablement réduite, la surface nouvellement non drainée ne devrait-elle pas être considérée comme nouvellement non artificialisée ? D’un strict point de vue environnemental, c’est effectivement le cas, car l’eau de pluie pourra alors migrer à nouveau vers la nappe phréatique au lieu d’être captée par les drains pour s’écouler vers les cours d’eau.
Puisque l’enjeu devient le remplissage des nappes phréatiques, les surfaces golfiques peuvent apporter une forte contribution. Souvent les golfs sont équipés de surfaces importantes de plans d’eau. Ceux-ci sont réalisés avec des parois étanches empêchant toute infiltration de l’eau de pluie. Une évolution conceptuelle consisterait à transformer ceux-ci en « dépressions humides », c’est-à-dire en plans d’eau temporaires avec un radier filtrant permettant d’infiltrer naturellement les eaux de surface vers les nappes phréatiques, et laissant ainsi la place au développement de zones humides sur leurs radiers. D’un point de vue paysager de très beaux aménagements peuvent ainsi être créés tout en répondant aux demandes du moment qui concernent la réalimentation des nappes phréatiques.
La communauté golfique doit se mobiliser
Ces deux dernières années, les réglementations visant à renforcer les dispositions législatives pour préserver la biodiversité mais surtout la réalimentation des nappes phréatiques ont conduit à produire des textes allant bien au-delà des objectifs environnementaux.
Des manifestations sociales contre de futures implantations d’installations golfiques dans notre pays, mélangent les critères environnementaux avec des aversions catégorielles, y compris de lutte des classes, tout en occultant les bienfaits protecteurs des installations golfiques vis-à-vis de l’environnement.
Il semble urgent que la communauté golfique se mobilise pour faire valoir les avantages de ses installations, non seulement sur le plan économique mais aussi social et environnemental.
RdM
Ça n’est pas le savoir-faire qui manque mais le faire-savoir
Golf Planète a demandé son avis à un golfeur spécialiste de la question, Frédéric Poitou, Ingénieur chimiste, docteur en sciences et expert Judiciaire. Voici ses raisons de ne pas être pessimiste… si une réaction des institutions et des acteurs de la filière était au rendez-vous.
Golf Planète : La loi d’aout 2021 peut-elle mettre en danger le développement du golf en France ?
Frédéric Poitou : L’ambition affichée inquiète le monde du golf qui y voit un risque de frein au développement de l’un des sports les plus pratiqués en France. Mais à bien y regarder, et à condition que les golfs sachent réfléchir à la nécessaire adaptation de leurs conditions d’exploitation et d’entretien des parcours, ce projet de loi pourrait être l’occasion de mettre en évidence l’importance que représentent ces surfaces réservoirs de biodiversité et poumons verts en périphérie de nos agglomérations, les spécificités et l’exemplarité de la filière dans le domaine.
GP : Les golfs sont-ils considérés par la loi comme des espaces artificialisés ?
FP : Le problème qui alerte la filière golf est, en effet, la définition dans la loi des terres considérées comme étant artificialisées, dont les golfs faisaient partie dans la première définition.
L’INSEE nous donne une bonne définition de ce qu‘est l’artificialisation des sols :
Artificialisation : Transformation d’un sol à caractère agricole, naturel ou forestier par des actions d’aménagement, pouvant entraîner son imperméabilisation totale ou partielle. Elle résulte de l’urbanisation et de l’expansion des infrastructures, sous l’influence de la dynamique démographique et du développement économique. Cette définition insiste aussi sur la notion d’imperméabilisation qui « amplifie le ruissellement de l’eau au détriment de son infiltration, et participe ainsi à l’érosion des sols …/… et contribue également à la dégradation de la qualité chimique et écologique des eaux en intensifiant le transfert de sédiments chargés de contaminants des sols vers les cours d’eau (engrais azotés ou phosphatés, hydrocarbures, métaux lourds, produits phytosanitaires) ».
D’où il ressort une dimension importante à prendre en compte par la suite : la pondération du principe d’artificialisation par celui d’imperméabilisation. Et c’est bien sur les types de terrains concernés par le terme « artificialisation » que blesse le bât !
Car dans sa première livrée, avec la définition qu’en fait l’observatoire national de la biodiversité, le projet considérait les terrains de golf et les autres terrains sportifs comme étant artificialisés, à l’inverse des surfaces agricoles intensives considérées comme ne l’étant pas !.
GP : Mais les golfs ne sont-ils pas surtout (comme les parcs sont considérés l’être) des poumons verts, des zones de protection de la biodiversité qui évitent justement l’imperméabilisation, donc l’artificialisation ?
FP : Le texte original prévoit aussi la possibilité de compenser des surfaces artificialisées, par d’autres que l’on replanterait (c’est la notion de zéro « net »). En d’autres termes, on pourrait reboiser une friche industrielle en compensation de l’artificialisation d’une zone humide à haute valeur environnementale et de biodiversité, ce qui n’a vraiment aucun sens sauf celui de se donner une bonne conscience « green washing» !
GP : Quelle a été la réaction des institutions concernées jusqu’alors ?
FP : L’exécutif ayant convenu que le dispositif adopté à la fin de la précédente législature était imparfait difficilement applicable et nécessitait d’être amendé, les élus, principalement ceux liés aux territoires et donc à la réalité, se sont évidemment emparés du débat pour pointer cette incohérence, et y proposer des correctifs.
D’un côté, l’association des maires de France (qui a déposé de nombreux recours devant le Conseil d’État au sujet de ce texte) a publié à cet effet un ensemble de 20 propositions, parmi lesquelles les 3, 4, 5 et 17 vont dans le sens d’une prise en compte des spécificités des terrains et parcours de golf.
D’un autre côté, le Sénat a déposé le 14 Décembre dernier sa proposition de loi visant à « faciliter la mise en œuvre du ZAN, en proposant en particulier que les surfaces végétalisées à usage résidentiel, secondaire ou tertiaire (jardins particuliers, parcs, pelouses…) soient considérées comme non artificialisées, une petite fenêtre qui pourrait permettre de reclasser les terrains de golf et les considérer alors comme des parcs, non artificialisés ».
Dernièrement, les deux premiers décrets du conseil d’État ont été publiés en Avril 2022. Ils, précisent encore trop peu le statut des terrains de golf, mais laissent penser qu’ils pourraient être considérés en catégorie « 8 », (surfaces naturelles ou végétalisées constituant un habitat naturel, qui n’entrent pas dans les catégories 5°, 6° et 7°).
GP : Finalement, quelles sont les fonctions écologiques des sols ?
FP : Le sol est la couche superficielle de l’écorce terrestre composée d’éléments minéraux d’origine géologique et d’éléments organiques issus de l’action des organismes vivants sur l’eau et l’air dont il régit les cycles. Une partie importante de cette fonction est réalisée par les milliards d’organismes vivants microscopiques (bactéries, champignons, algues) ou macroscopiques (vers, insectes) que le sol héberge en symbiose dans chaque mètre cube *. Les définitions internationales convergent toutes vers les fonctions suivantes pour les sols :
- Fonction d’habitat (organismes, biodiversité)
- Fonction régulatrice (rétention, circulation, infiltration de l’eau, dégradation des polluants, régulations des nutriments)
- Contrôle de la composition chimique de l’atmosphère et contribution aux processus climatiques
- Fonction productrice (production, recyclage et régulation de biomasse)
- Fonction de support
- Source de matière première
Si les quatre premières fonctions sont naturelles (filtration, purification, stockage et transformation des substances), les deux dernières sont plutôt anthropiques (liées à l’activité humaine). Et toutes ces fonctions sont considérablement multipliées sur les réservoirs verts et de biodiversité que représentent les parcours de golf.
Il appartient donc aux golfs, via leurs structures fédératives, les collectivités territoriales où il sont installés ou leurs représentants d’intérêts de se saisir de ces petites ouvertures pour faire valoir la spécificité des surfaces vertes qu’ils entretiennent et valorisent, en ce qui concerne plus particulièrement la préservation de la capacité de drainage de leur perméabilité.
La fenêtre mérite même d’être élargie aux importantes réflexions menées par la filière pour réduire fortement l’utilisation des produits phytosanitaires, tout en aménageant des infrastructures qui permettent le stockage des ruissellements pour l’arrosage des terrains en remplacement des eaux potabilisées.
Comme souvent, ça n’est pas le savoir-faire qui manque, mais le faire-savoir !
* On devrait même parler de volume (m3) plutôt que de surface (m2) d’artificialisation les fonctions des sols étant mises en œuvre par percolation.
Pour joindre M. Frédéric Poitou : tel 06 98 00 84 32 – contact@expertises-chimiques.eu
Photos Golf Planète, RdM, DR