Il y a trois ans, Sandrine Vialle-Lenoël, psychanalyste et golfeuse passionnée, avait publié dans Golf Planète un formidable article consacré à Golf et Psychanalyse que nous recommandons fortement à chacun de lire ou de relire.
Aujourd’hui, Sandrine Vialle-Lenoël nous fait part de ses réflexions sur Autisme et Golf. L’idée de cette chronique nous était venue à l’esprit à l’occasion de la compétition JurisGolf organisé en juin au golf Pont Royal à laquelle avait participé Thomas Colombel (photo couverture) dont elle parle dans l’article. Nous la remercions vivement pour sa collaboration qui nous ravit. RdM
Il faut d’abord changer de regard sur l’autisme
Nous sommes tous différents, tous singuliers. Le golf ne nous impose aucune véritable standardisation, nous pouvons jouer au golf quel que soit notre corps, notre psychisme, même au plus haut niveau. Le golf est donc compatible avec toutes nos différences. L’autisme est une différence, une différence spécifique rencontrant des affinités toutes particulières avec le golf.
Pour comprendre en quoi le golf est compatible avec la différence autistique, il nous faut d’abord changer de regard sur l’autisme. L’autisme peut se placer sous le signe de la différence qu’il est possible de saisir à partir de la manière dont chacun se protège du monde et des autres. « Chacun » signifie chacun d’entre nous : autiste, névrosé ou psychotique, car notre structure psychique subjective détermine notre rapport particulier au monde, aux autres, à notre anxiété réactive, nous obligeant à apporter une réponse adaptée. Les chercheurs historiques que sont Kanner et Asperger font tous deux l’hypothèse qu’il existe des constantes dans l’autisme avec de multiples variétés de manifestations selon chaque sujet. Quelques repères généraux nous permettent d’entrevoir des concordances entre l’autisme et le golf, comme une réponse possible à leur nécessité.
Se protéger de la demande de l’Autre
Le golf est un sport profondément solitaire, même si nous avons tendance trop souvent à l’oublier. Il a été mis en évidence, notamment par Asperger, que les autistes vont trouver des solutions à la demande de l’autre, dans le retrait, l’isolement et la solitude. Ce n’est pas que les autistes n’aiment pas la compagnie, mais ils doivent impérativement se protéger de ce que leur imposent les autres, leurs demandes, leurs attentes, leurs regards… Le golf est un sport qui le permet, car nous pouvons passer toute une partie sans interagir avec les autres joueurs. L’autiste n’a pas à regarder un autre sur le parcours. Le regard au golf est dirigé principalement sur deux objets : la cible et la balle. Il peut être parfaitement concentré sur la bonne manière d’exécuter son swing. Il peut jouer avec un autre qui ne le regardera pas et à qui il ne demandera rien, puisque chacun joue sa partie. Les golfeurs porteurs de cette différence ont dû trouver la solution pour jouer avec les autres sur le parcours en trouvant la manière appropriée de s’isoler pendant les parties. C’est un impératif pour eux. De plus, ils rencontreront un véritable plaisir à passer des heures à s’entraîner seul. Nous aimerions pouvoir en faire autant !
L’environnement perçu comme chaotique
Les personnes autistes perçoivent l’environnement comme un chaos énigmatique et sont souvent très inventifs pour trouver des manières d’y faire face. Le parcours de golf est un environnement particulièrement organisé, délimité, bordé par des repères comme le hors limite, les obstacles sont délimités, les bords sont visibles par différents repères comme les tontes d’herbe. Des bords, des contours, existent à tous les endroits du parcours. Le parcours est structuré par zone définie green, bunker, fairway, rough…Les règles de golf organisent le jeu, même si quelques-unes sont sujettes à une logique peu compréhensible. Le golf est donc tout sauf chaotique même s’il peut l’être dans notre tête ! Une personne autiste pourra percevoir le golf comme un environnement structuré et rassurant.
La répétition, forme de l’immuabilité
L’entraînement répétitif que nous pourrions percevoir comme rébarbatif ne l’est donc pas pour une personne autiste. Le golf demande le contrôle de ce qui est contrôlable. La routine singulière de chaque joueur ne devrait demander aucun effort aux autistes, car elle se présente pour eux comme une solution nécessaire. La répétition de tous les gestes, la routine, le swing, sa cadence, le rythme, font partie d’un ensemble répondant à leur quête d’immuabilité et sera particulièrement recherchée. C’est au practice et sur le putting green que cette quête pourra le mieux s’exprimer, répétant la bonne manière de faire, reproduire et reproduire encore et encore. L’entraînement répétitif du swing est donc une solution et non un problème. A cela s’ajoute leur préoccupation toute particulière à boucher les trous car ces trous renvoient à l’inquiétante mise en jeu du manque. Des heures à chiper, à putter, sans se lasser ! Faire rentrer la balle dans le trou, un impératif, une nécessité ! Quand le névrosé peut avoir une hésitation, une ambivalence à mettre la balle dans le trou, voire organiser le ratage, l’autiste envisagera son putting comme un impératif de boucher le trou avec la balle.
Le contrôle de l’objet : la personne autiste a une préférence pour les objets durs, mais plus spécifiquement pour les objets dynamiques qui tournent sur eux-mêmes. Elle s’y intéresse, les manie, les étudie et surtout les contrôle.
La quête de tous joueurs : contrôler la balle ! Sauf que pour ces joueurs c’est une nécessité structurelle avant d’être stratégique.
L’avenir du golf avec l’autisme
Le golf pourrait donc faire émerger des golfeurs de haut niveau chez les autistes. Simple en théorie, plus complexe dans la pratique car l’apprentissage du golf devra répondre à certaines conditions. Il faudra notamment respecter la spécificité du fonctionnement autistique en acceptant d’occuper en tant qu’accompagnant ou enseignant de golf, la place que l’autisme impose. Comme tout à chacun les joueurs porteurs de cette différence rencontreront des obstacles, des difficultés, mais il est certain que là où les joueurs névrosés que nous sommes pour la plupart, se confronteront à des peurs, de la lassitude, de l’embarras, l’autiste y trouvera un monde organisé, tant recherché dont il pourra en y rajoutant ses propres créations en devenir le maître.
Pour conclure, il est à se demander si le golf n’a pas été pensé, créé par des autistes tant ce sport correspond à leurs besoins !
Je remercie Thomas Colombel et Kristofer de m’avoir permis par leurs confidences, leur expérience de jeu d’établir ces liens. Pour finir, une phrase de Thomas Colombel sur la gestion de ses émotions qui pourrait servir à tous les joueurs de golf : « Je ne m’en occupe pas, car les émotions ne sont pas réelles » « Je fais ce que j’ai à faire ».
Nous aimerions savoir en faire autant !
Sandrine Vialle-Lenoël
Bibliographie
La différence autistique, Jean-Claude Maleval, Éditions Arguments analytiques, 2021