Dans l’entre-deux guerres, il existait une discipline qui enchantait les foules : le golf aérien. Un mélange audacieux d’aviation et de golf qui n’a pas perduré compte tenu du manque de règles uniformes et des gros moyens nécessaires à sa pratique…
Par Sébastien Brochu
On en est (presque) sûr : Icare n’a jamais rêvé de golf, mais il a assurément songé aux birdies et autres eagles pour voler et gagner ainsi sa liberté… Le golfeur souhaite aussi atteindre ce Nirvana, d’une manière peut-être différente, mais tout aussi illusoire : combien de fois il s’est brûlé les ailes ! La comparaison ne s’arrête pas là car elle n’est pas seulement d’ordre ornithologique…
Les premiers avions attirés par les links
L’aviation prend son envol au début du XXe siècle et quand notre héros national Louis Blériot traverse le premier la Manche en 1909, lançant ainsi définitivement « la filière », il atterrit à Douvres sur… un golf. Tout au long des années qui suivent, faute de pistes adéquates, il n’est pas rare que ces pionniers font “coucou” sur un links.
Après la Première Guerre mondiale, l’avion a acquis ses premières lettres de noblesse et tente de devenir un moyen de locomotion comme un autre. La riche bourgeoisie s’éprend de ce transport moderne au point d’en faire une discipline sportive, relatée dans la presse spécialisée et même dans celle du golf.
Le golf aérien commence par être une attraction
Des rallyes sont organisés où parfois les pilotes doivent se poser sur les parcours et jouer quelques trous… Mais le grand public suit plutôt les meetings aériens qui se répandent un peu partout en France avec différentes attractions dont le golf aérien. Ses règles différaient au bon vouloir des aéro-clubs comme au bon vieux temps des origines du golf…
Plutôt proche de la pétanque aérienne !
En gros, le golf aérien consistait à jeter du haut de son engin des sacs de plâtre sur des cibles marquées à terre. Avouons-le, il s’agit-là plutôt de pétanque aérienne, mais le golf demeure bien présent dans le monde de l’aviation grâce aux personnalités qui le fréquentent. Les mécènes, les constructeurs et quelques « gentlemen-pilot » sont souvent des membres éminents de clubs de golf.
Deux personnalités de l’aviation et du golf
Parmi eux, le richissime américain James Gordon Bennett Jr. (1841-1918). Ce magnat de la presse, créateur de l’International Herald Tribune, donnera son nom à de multiples trophées de disciplines sportives émergentes dont l’automobile, l’aviation et bien sûr le golf.
Encore aujourd’hui, le Trophée Gordon-Bennett (Internationaux de France de match play) reste une épreuve très convoitée du monde amateur.
Un autre entrepreneur, français, tente de populariser le golf aérien : un certain André Schelcher (1876-1942), président des automobiles Panhard et Levassor en 1900 et associé à la fondation en 1908 de la société Zodiac.
Golfeur passionné et photographe à ses heures non perdues, il était surtout considéré comme un brillant aérostier, pilote de ballon dirigeable grâce auquel il fit de formidables prises de vue aériennes de Paris.
Membre éminent du golf de Chantilly, il s’y rend en novembre 1911 en ballon en partant de St-Cloud pour taquiner la petite balle blanche avant de repartir le soir… Au fait des relations étroites qu’entretiennent le golf et l’aviation, Schelcher pousse le bouchon encore plus loin en organisant une épreuve qui mélange véritablement deux de ses sports favoris.
Le véritable golf aérien voit le jour en 1923
Un jour de juillet 1923 au golf du Touquet, quelques as de l’aviation ont rendez-vous sur le parcours de La Forêt pour une épreuve mêlant habileté et précision. Un green carré y est édifié pour l’occasion. Sur un périmètre de 50 m de côté, il est délimité par des bandes blanchies à la chaux. Au centre des cercles concentriques, un trou de 40 cm…
Après avoir décollé de l’aérodrome de Berck-sur-Plage, « les aéro-golfeurs » tentent de mettre la balle dans le trou en passant en rase motte à 5 mètres minimum de hauteur. Ils ont 12 balles – identifiées par les lettres d’immatriculation de leurs appareils – pour réussir un tel exploit qui leur permettrait de marquer 100 points.
Le règlement prévoit que si la balle tombe entre 0 et 5 m du trou, le concurrent marque 50 points, 30 points entre 5 et 10 m, 20 points entre 10 et 15 m, 10 points entre 15 et 25 m. En fin de journée, les arbitres ont pu constater la présence de 36 balles sur les 48 en jeu compte tenu du fait que seuls 4 aviateurs ont pris part au tournoi…
Le premier trou-en-un venu du ciel
Le lauréat – Jean Bécheler – remporte cette unique édition avec un total de 410 points ! Et pour cause : cet as de l’aviation qui avait fait parler de lui six mois auparavant en atterrissant devant le Grand Palais, fut l’auteur du seul trou-en-un de la compétition et sans doute le premier à l’avoir réalisé en avion !
Malheureusement, l’essai n’est pas transformé. La discipline nécessite une organisation sans faille et le manque d’aéro-golfeurs est patent. Si plusieurs épreuves de ce type ont encore lieu dans les années qui suivent, elles finiront par tomber dans l’oubli après la Seconde Guerre mondiale.
Photo ©DR/Le golf des origines à nos jours de Alain R. Bocquet. @Golf Collector’s Society